CHAPITRE II

 

 

 

 

Jamais sauté de si haut en anti-g. J’évalue notre altitude aux environs de 18000 mètres. Tout est bleuté.

Ripou avait freiné à mort le module, avant de nous faire éjecter, pour ralentir notre vitesse de sortie. Néanmoins je sens qu’on me tient bras et jambes serrés pour éviter un écartèlement.

Les anti-g fonctionnent à fond maintenant et je contrôle ma chute, la main crispée sur la boucle de manœuvre de la combinaison.

On distingue le sol convenablement… Apparemment on se dirige vers un océan, à l’est du continent principal que je connais bien. Les autres ont suivi ma trajectoire et transformé notre chute oblique en glissade à 200 km/h. Avec les casques aucun danger.

J’entame un virage par la gauche pour revenir vers le continent… Il me semble reconnaître cette partie de la côte.

5 000 mètres. On distingue une petite ville, au sud, un port apparemment. Un voilier s’y dirige. Pas le temps de le détailler, j’appuie à droite. Pas de témoins !

Une grande forêt d’arbres immenses, d’un vert très sombre et une sorte de savane, au nord, c’est là qu’on se posera…

Le sol… Je réduis la vitesse et arrondis ma trajectoire pour venir poser les pieds au sol en douceur. Les autres s’immobilisent dans la seconde qui suit, alors que je relève la visière de mon casque.

Tout s’est passé tellement vite que je me trouve un peu paumé, ne sachant pas quoi faire. Machinalement je me laisse glisser au sol pour m’asseoir. On disparaît entièrement dans cette herbe jaunâtre, haute d’un mètre.

Personne ne parle et je me tourne vers Giuse. Son regard est lucide, maintenant. Il a cette petite crispation de la joue qui traduit en général une grande tension intérieure. Je le connais bien, mon vieux copain Giuse !

— Dis… c’était pas une connerie ? Tu es vraiment sûr, c’était un Loy ?

Je baisse les yeux, revoyant la silhouette fugitive.

— Exactement la morphologie des personnages sur les enregistrements qu’on a visionnés dans la base…

Je devrais dire dans LEUR base. Ce sont les Loys qui l’ont construite, elle et quantité d’autres, il y a je ne sais combien de millénaires. En fait, quand ma capsule terrienne m’a déposé par hasard sur cette planète j’ignorais tout des Loys évidemment. Et c’est aussi par hasard que j’ai trouvé cette base, à l’époque dans les montagnes, et que j’ai pu en prendre le contrôle.

Déjà, à ce moment-là, les Loys avaient totalement disparu depuis des milliers d’années[4]. Sinon HI l’ordinateur ne m’aurait pas laissé le contrôler. Une histoire de virus, d’après ce que j’ai toujours su. La race a été exterminée.

À première vue, ça peut paraître invraisemblable, mais au stade intergalactique qu’avaient atteint les Loys c’est tout à fait plausible. Il y a de sacrées saloperies dans l’espace et sur certaines planètes.

— Alors ils s’en seraient finalement tirés ? murmure Giuse pour lui-même. Mais pourquoi revenir tant d’années après ?

D’autant que leur technologie a considérablement évolué, d’après les engins et les armements qu’ils utilisent.

C’est à ce moment que Salvo intervient, calmement comme toujours :

— Ce qui m’étonne, c’est qu’ils nous aient descendus depuis le sol.

La phrase met un certain temps à m’atteindre. Le sol…

— Mais… c’est pas leur foutue tulipe, enfin leur engin qui nous a allumés ?

Il secoue la tête.

— On a été touchés sous la coque et à gauche, et à ce moment leur appareil était à notre droite. L’angle de tir était impossible. Il n’y a pas eu d’impact véritable. C’est un rayonnement, d’après les sondeurs que je surveillais à ce moment-là, qui a bousillé la coque et les installations intérieures. Les gars ont été immédiatement détruits.

Les « gars »… les robots-vahussis, je les avais oubliés. Etrange ce mot dans sa bouche. C’est celui que j’emploie, avec Giuse, pour parler de lui justement, lui Salvo, Ripou, Siz, Lou et Belem…

— Alors… ils ont plusieurs engins, fait Giuse et il y en a au sol ?

— Peut-être un seul, je réfléchis à haute voix, et la tulipe qu’on a suivie n’était qu’un truc d’exploration. Leur module à eux, par exemple.

— Mais pourquoi nous avoir descendus ? explose mon vieux pote. Enfin c’est trop con. Sans même avoir pris contact.

— Ils ont pris contact, je corrige lentement. À tous les coups ces traits sur l’écran, tu te souviens, c’était leur système de communication. Ils utilisent ce machin là maintenant. Et nous on n’a pas compris, on n’avait pas de décodeur si tu veux. Enfin c’est comme ça que je vois la chose. Je me goure peut-être, note bien.

Il a un geste de lassitude.

— Non, tu dois avoir raison, j’y avais pensé aussi. Les dingues… Pouvaient pas être un peu patients, non ! On n’en est pas à leur stade, nous…

— Ils ne savent pas qui on est, justement.

— Ben, pourquoi nous abattre a priori… c’est idiot, complètement idiot. Ils ne sauront jamais et…

— Attention !

C’est Belem qui a hurlé. Je tourne la tête de son côté. Il est à dix mètres, un désintégrant en main dirigé vers le ciel.

Bon Dieu, la tulipe… Elle descend de notre côté ! Encore haut, mais je devine ce qui va se produire.

— Vers la mer… foncez… en zigzag.

J’ai remis le contact de mon système anti-g et les doigts soulèvent le petit curseur. Tout de suite à trois mètres du sol j’accélère à fond et le vent relatif me fait prendre la position du nageur en plongée. Je m’incline sur le côté pour surveiller à la fois le ciel et regarder où je vais. Si je percutais un obstacle à près de 200 km/h, plus de souci à me faire…

Elle doit arriver vers trois mille mètres, maintenant, cette saloperie de tulipe. Je fais un brutal crochet vers le sud. On ne pourra pas joindre le rivage à temps ! Il faut aller chercher la protection des arbres…

Les autres suivent.

Elle a tiré ! Un flamboiement, derrière. La savane brûle. Le coup de veine qu’on ait viré au moment où elle lâchait sa rafale de je ne sais quoi.

Un autre crochet puis un troisième tout de suite.

Nouveau tir. S’il y a du vent, c’est un immense incendie qui se prépare. Vacheries de Loys, ils se foutent des témoins ! À cette altitude il va sûrement y en avoir. Les dégâts psychologiques vont être importants…

Désespérément, je continue mes manœuvres, évitant les répétitions pour empêcher leur ordinateur, là-haut, de prévoir mon prochain déplacement. L’impression que ce vol de cauchemar dure depuis des heures. Je m’entends haleter dans le casque…

Les arbres. Le sommet des branches atteint 100 mètres, on a largement la place de passer mais il faut éviter de heurter un tronc !

À droite une allée… J’oblique et m’y engouffre avant de ralentir à fond. Le changement de clarté m’aveugle un instant. S’il y a un obstacle sur ma trajectoire je suis foutu…

Trois secondes terribles…

Stoppé ! Je dois être pâle comme un mort. Les autres se groupent autour de moi pendant que je relève ma visière en coupant le micro du casque. Pas question d’émettre.

— On file vers la lisière à l’abri des arbres les plus touffus. Une fois en mer on va au fond, on se regroupe et on attend, O.K. ?

Tout le monde hoche la tête. Giuse lève la tête mais le ciel est complètement invisible avec les branches qui forment un véritable toit. Mais je comprends sa crainte. Les salopards ont peut-être un système pour nous repérer à travers tout ça. Faut pas s’éterniser.

Une idée au moment de redécoller.

— Eh… à la lisière on s’espace d’un kilomètre avant de foncer vers la flotte et on démarrera les uns après les autres. Allez…

Pas fait cinquante mètres qu’un immense grésillement s’élève derrière… Vacherie, ils ont bien un moyen de nous repérer !

Et l’enfer recommence. La fuite désespérée, les crochets et les vraies explosions d’arbres touchés par un rayonnement thermique intense.

Mais comment font-ils, ces fumiers… Et la réponse arrive, logique dès qu’on a posé le problème. C’est nous qui les aidons. À tous les coups je parie qu’ils nous repèrent par la dépense d’énergie de nos anti-g…

Je gueule dans le micro :

— Au sol, coupez les anti.

La réception est brutale et je me casse la figure. Pas de mal et la combinaison est conçue pour résister à des chocs tellement plus violents…

Les autres…

— Je pense qu’ils nous repèrent aux anti-g, on continue en courant, toujours vers la mer.

Cette fois la combine est un sacré handicap. Au bout de dix mètres je commence à souffler. D’autant que l’air est drôlement chaud avec ces incendies, derrière nous.

Lou comprend très vite et appelle Ripou. Ils me saisissent chacun par une cuisse et me hissent à la hauteur de leurs épaules. Pour eux c’est une bricole, ils ont une force fantastique. Je vois Siz et Belem faire la même chose à Giuse. Salvo a surveillé la manœuvre et file devant en éclaireur.

La vitesse s’accélère et l’air me rafraîchit le visage… On dirait que les tirs se sont arrêtés. Après deux minutes de calme j’en suis sûr : c’était bien comme ça qu’ils nous suivaient à la trace.

On ne doit plus être tellement loin de la mer, maintenant, quand plusieurs explosions brutales éclatent, sur la droite et devant. Merde, qu’est-ce qu’ils font ? D’autres encore, à gauche… Un mur de feu ! Ils tapent au hasard et nous encerclent… Mais je commence à en avoir marre, moi, de cette connerie, vraiment marre !

Des flammes immenses, devant nous. Lou et Ripou ne ralentissent pas et je rabaisse ma visière en comprenant leur intention. Ils courent à une telle vitesse et les combinaisons sont si solides qu’on passera sans trop de difficulté. D’autant que les gars ne dévieront pas d’un degré de la bonne direction. Je suppose que les Loys espèrent nous inciter à repartir en anti-g pour nous localiser…

Vacherie, j’ai beau savoir qu’on ne risque rien, ce mur de flammes est impressionnant…

Traversé…

Voilà la lisière. Je change d’avis en entendant des explosions loin derrière.

— On fonce tous ensemble…

Cette fois on peut déclencher les anti-g, l’espace à franchir pour arriver à l’eau n’est guère important, une cinquantaine de mètres.

On y va… Le sable défile sous mon nez… des embruns éclaboussent mon casque, il y a du ressac sur cette côte. Un ralentissement et je plonge.

Un léger choc aux épaules à l’entrée dans l’eau. Je file vers le fond, qui descend rapidement, et continue en direction du large. Je suis certain qu’ils ne peuvent plus nous repérer dans l’eau et de toute façon des tirs thermiques n’auraient pas grand effet, si ce n’est faire beaucoup de vapeur…

Aucune idée de la profondeur mais on est assez loin à mon avis. Je m’arrête et empoigne un rocher pour rester au fond. On n’est pas plombés et les combines tendent à nous faire remonter.

Il faudrait discuter mais comment parler, ici ? Le casque de Lou me rappelle un souvenir d’autrefois. J’ai vu ça dans des films pendant mon enfance, sur Terre. Je colle mon casque contre celui de Lou et gueule.

— Hé !… tu m’entends ?

Il a l’air surpris mais j’entends sa réponse, assourdie mais compréhensible :

— Oui… comment fais-tu ?

J’ai un geste vague de la main, les explications plus tard. J’appelle les autres et on entreprend une gymnastique bizarre pour arriver à coller nos sept casques les uns contre les autres… Impossible. Alors je fais signe qu’on va discuter à trois, avec Giuse et Salvo qui transmettra ensuite à ses copains.

— Ça a l’air d’avoir marché, commence Giuse. Seulement qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

C’est bien la question, et je n’en sais foutre rien. Pas encore eu le temps de faire le point. On est en sécurité mais on ne va pas rester ici des jours entiers. Ces combinaisons lourdes comportent des poches spéciales mais impossible de les ouvrir dans l’eau. Comment accéder aux barres de nourriture concentrée, par exemple ? Sacré problème.

— On va commencer par se reposer, je réponds. Ensuite on partira vers le nord en longeant la côte pour débarquer quelque part. Après on verra.

 

*

 

Ça, on a vu !

Il faisait nuit quand on a pris pied sur le sable, loin au nord. On n’était pas assis depuis cinq minutes que cette saloperie de tulipe rappliquait et nous allumait ! Je me demande encore comment on s’en est tirés.

Même pas eu le temps de bouffer. Et maintenant ça devenait urgent. On était sous la flotte depuis plus de quinze heures. Le petit déjeuner pris à la base était vachement loin et on commençait à être anormalement fatigués. Pas de problème d’air, évidemment, avec le système de recyclage, mais nos organismes exigeaient de la nourriture.

C’est Giuse qui a eu l’idée. Il devait bien y avoir une côte rocheuse quelque part. On trouverait peut-être une grotte ?

On est repartis, guidés par Salvo et Belem. Au petit matin Belem a trouvé le paradis : une grotte dont l’ouverture est immergée sous quinze mètres d’eau. L’air parvient je ne sais comment, mais s’il pue c’est tout de même de l’air. Et il y a du sable pour s’asseoir…

Je me suis jeté sur la nourriture avant de prendre un somnifère léger. On réfléchira au réveil.

 

*

 

— Ça va, mec ?

Déjà réveillé, le père Giuse. J’ai mal partout mais je me sens reposé.

Lou me tend une barre de concentré et je commence à grignoter.

— Dis donc, tu connaissais ces combinaisons lourdes, toi ?

Je secoue la tête.

— Jamais eu l’occasion d’en voir d’aussi près, je marmonne.

Il sourit.

— J’ai fait l’inventaire. Regarde nos trésors.

Il a étalé le tout sur le sable. À la lumière d’une de nos lampes je contemple un couteau, un poignard plutôt, un petit rouleau de fil-contact, un truc qui sert à faire des réparations à bord. Utilisable aussi bien pour des liaisons multiples électroniques que pour de simples branchements énergétiques. Il y a aussi un désintégrant léger, un capteur magnétique qui permet de se repérer et de garder un cap, quinze barres de nourriture concentrée, des minuscules comprimés désinfectants pour l’eau, des comprimés caloriques pour chauffer de l’eau ou n’importe quel liquide, des capsules émettrices, des gants souples de protection qui permettent de saisir un épineux sans que rien ne traverse, un distillateur d’eau miniature, et deux petites trousses de médicaments et d’instruments de chirurgie d’urgence.

 

Il a placé de côté une pile standard, capable d’alimenter au choix le désintégrant, la combinaison etc. C’est une réserve d’énergie très importante puisque le désintégrant par exemple se recharge aux trois quarts par exposition à la lumière. Un autre truc qui me paraît presque plus intéressant, c’est le petit sabre-énergie. Une petite poignée de couteau contenant la pile. Un faisceau modulable en sort et peut atteindre un mètre cinquante de longueur. Rien ne lui résiste sauf des alliages très sophistiqués. On peut même l’utiliser en chirurgie puisqu’il cautérise tout ce qu’il effleure. Pas besoin de désinfectant, de la chirurgie propre.

La dernière chose est un ceinturon de combat, se fermant par une boucle totalement hermétique, à combinaison. La longueur du ceinturon peut varier en le dédoublant un certain nombre de fois, à la demande. Au maximum il mesure quinze mètres et peut encore soutenir deux tonnes !

Si chacun de nous possède la même chose, et c’est l’évidence, on a de quoi faire face à pas mal de situations. D’autant que les androïdes n’ont guère l’usage de ce matériel, à part le fil-contact. Les réserves sont rassurantes.

— Pas dégueulasse, non ? fait Giuse avec un sourire.

— Ouais… mais ça ne nous servira pas à grand-chose pour rejoindre la base, ou même prévenir HI de ce qui se passe. Et ça, j’aimerais autant ne pas le faire…

Il n’a pas l’air de comprendre.

— Les Loys, je reprends… C’est quand même ses constructeurs, non ? Il pourrait bien changer de camp, pas étonnant ! S’il envoie un engin qui peut franchir le blocus et qu’on puisse à temps interdire toute communication avec la base, là, peut-être on a une chance…

Je n’aurais pas dû dire ça aussi brutalement, on replonge au cœur du problème. J’essaie de l’atténuer un peu.

— Heureusement il y a les gars. Jamais les Loys n’ont voulu réaliser de robots à leur image. Ils considéraient le projet comme une insulte à leur humanité. Donc Lou, Salvo et les autres nous seront fidèles comme par le passé.

Cela dit, c’est une évidence : on ne peut pas regagner la base, il faut être lucide. On est bloqué sur Vaha. J’ai déjà connu cette situation en débarquant de ma capsule terrienne. Evidemment, aujourd’hui la civilisation vahussie a progressé, mais je ne sais absolument pas en quel sens. Notre dernier voyage ici remonte à un peu plus d’un millénaire. Cette fois on voulait laisser un bout de temps les choses évoluer d’elles-mêmes.

— Evidemment si HI envoie un module… boum, dit Giuse d’un air renfrogné… Mais ils vont tout de même pas rester ici, ces foutus Loys ?

— Si on savait pourquoi ils sont revenus…

— Ouais. On en revient au même point.

Son moral en a pris un coup et je m’en veux. C’est que je me sens mal. À la fois écœuré et en colère contre le monde entier. La colère injuste, aveugle. Quel con de s’être laissé piéger comme ça ! Et quelle vie idiote on mène. Ma parole, je me prends pour Dieu le Père à vouloir guider une civilisation…

En fait, à chaque fois qu’on est intervenus, c’était en pleine guerre et on a apporté des nouvelles armes. Avec une technologie guerrière. Et tout ça pour égaliser les chances de la nation qui me plaît. Le destin de ces gens était peut-être de disparaître ? Je ne sais pas si j’ai eu raison. Je ne sais plus rien !

Après une aussi longue hibernation, on aurait eu besoin de soins pour récupérer moralement. En fait on a été immédiatement plongés dans le bain. Et puis j’ai déjà remarqué que ces hibernations successives avaient un effet d’usure sur moi. Giuse, qui est arrivé plus tard, n’en est pas encore là mais je le sens y venir.

Je me demande même si Vaha m’intéresse encore… La vraie déprime ! Un échec a toujours cet effet sur moi. Patrick, l’un de mes ex-patrons terriens, en savait quelque chose. Au fond, je pense que mon problème vient de ce que j’ai régulièrement abandonné ceux que j’aimais. À chaque voyage. À part Giuse je suis seul, terriblement seul. Même la puissance dont on disposait à la base ne me passionne plus. J’en ai fait le tour. Et l’homme n’est probablement pas fait pour être seul.

Depuis combien de temps je suis plongé dans ces cogitations pseudo philosophiques ? Il faudrait que je réagisse sinon on va laisser notre peau dans cette connerie.

— Belem, je fais en levant la tête, tu vas faire une sortie. Explore les environs prudemment.

Il répond d’un hochement de tête et commence à s’élever dans la grotte, en anti-g pour chercher un orifice par où se glisser.

 

*

 

Des coups sourds résonnent là-haut. Le sol tremble dans la grotte et on a rabaissé nos visières, se glissant jusqu’au petit lac communiquant avec la mer pour filer si tout s’écroule.

Je croise le regard de Giuse. Il fait une petite grimace. Ouais, moi non plus je ne suis pas tellement fier d’avoir envoyé Belem au casse-pipe…

L’eau s’agite… Un casque. C’est lui qui se hisse sur le sable. Il remonte sa visière, le visage lugubre, comme à l’ordinaire. Quand j’ai demandé à HI de fabriquer ces androïdes j’ai précisé, quelques fois, que je les voulais ressemblant à des Vahussis que j’avais aimés. D’autres fois j’ai seulement dit qu’ils soient physiquement différents les uns des autres et que leur comportement « humain » soit également divers. C’est comme ça que Ripou a toujours l’air de se fendre la gueule, de tout prendre à la rigolade tandis que Belem a un air sinistre…

— Pas fait cent mètres que la tulipe était là, il commente en examinant sa combinaison. Ils ont un moyen de nous repérer.

— On va bien voir, je fais. On ne bouge plus pendant quatre jours. Pour économiser les vivres, Salvo et Ripou vous allez trouver du poisson qu’on fera cuire.

 

*

 

Pour faire bonne mesure on a attendu cinq jours. Cinq mortelles journées à se morfondre avec cette satanée lumière artificielle de la lampe. Je viens de refaire un essai en envoyant Salvo en surface, cette fois en passant par la mer.

Inconsciemment on guette le moindre signe. Il devait nager assez loin au sud pour aborder enfin. Deux heures qu’il est parti…

Giuse regarde sa montre pour la énième fois, quand les androïdes redressent la tête.

— Des tirs, lâche Siz, le garde du corps attitré de Giuse.

Et merde, tiens ! Nom de Dieu de Loys… Je m’enferme dans un silence de rogne.

Une heure plus tard Salvo sort de l’eau et je pousse un sacré soupir de soulagement.

Lui aussi examine sa combinaison.

— J’ai juste eu le temps de traverser la plage… Mais maintenant il y a deux tulipes.

Giuse jure pendant plusieurs secondes. Moi, au contraire, j’ai l’impression de prendre du poil de la bête. Pas normal tout ça. Je veux bien qu’ils aient un système pour nous repérer mais il est forcément technologique, alors en cogitant on doit trouver en procédant par élimination. Ils ne peuvent pas avoir en fiche le signalement de tous les hommes vivant sur cette côte… D’autant qu’à travers les…

Bon Dieu ! Les combinaisons… Oui, à tous les coups ce sont elles… elles et une dépense énergétique.

— Je crois qu’il n’y a plus qu’une solution, je commence d’une voix lente, il faut se fondre dans la population. Là ils perdront notre trace. On laissera les combinaisons dans l’eau. Au besoin les gars pourront les récupérer en plongée.

— Tu crois ? dit Giuse.

— Ou bien ils ont imprégné nos combines, sans qu’on le sache, d’un rayonnement quelconque ou elles sont radioactives après l’explosion du dijar, je ne sais pas, mais c’est comme ça qu’ils nous repèrent.

— Je le crois aussi, lâche Belem.

Salvo confirme de la tête.

— Bon, alors on se refout à l’eau. On va mettre une barre de concentré dans la pince du ravitaillement de nos casques pour pouvoir se nourrir en plongée et on part vers le nord. Giuse et moi on dormira au besoin et vous nous tirerez. Il faut parcourir au moins cinq cents kilomètres. O.K. ?

— Et après ? fait Giuse.

— Après, l’un des gars ira piquer des vêtements et on abordera quelque part près d’une concentration d’habitations.

— Dont on ne sait rien. Tu te rends compte des risques de dire des conneries ?

— Pas moyen de faire autrement.

— Et on sortira sans équipement ?

Je réfléchis.

— Pas de désintégrants, ni de lampes. Les trousses d’urgence, le ceinturon qu’on camouflera, les comprimés, le fil-contact, le poignard bien sûr, le sabre-énergie, quand même, pas de harnais anti-g ni les piles de rechange. Il faudra s’arranger comme ça.

— Pour combien de temps ?

Je mets un moment à répondre d’une voix lasse :

— Peut-être tout ce qui nous reste à vivre… je ne sais pas.

Il ne fait pas de commentaires, et on commence à manger ce qu’il reste de poissons avant de partir.

Que va-t-on trouver à la surface ? Quel genre d’hommes sont devenus les Vahussis ?